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Interview de M. Lucas

Bio Consom’Acteurs Réunion vous propose un entretien exclusif avec Philippe Lucas, « Monsieur Bio » de la Réunion, expérimentateur officiel de l’Agriculture Biologique sur l’île.

 

INTERVIEW DE M. LUCAS, RESONSABLE DE LA FILIERE BIO A L’ARMEFLHOR

 

BCAR : M. Lucas, vous êtes responsable de la filière Bio à l’Armeflhor, Association Réunionnaise pour la Modernisation de l’Economie Fruitière Légumière et HORticole. En quoi consiste votre travail et comment est-il financé ?

P.L. : Mon rôle essentiel est d’expérimenter tout ce qui touche à l’Agriculture Biologique (AB) dans le cadre d’un programme sur 5 ans jusqu’en 2013 avec des financements européens gérés par l’ODEADOM (Office de Développement de l’Economie Agricole des départements d’Outre-Mer). Ce programme est établi en partenariat avec les responsables du Groupement des Agriculteurs Biologiques (GAB) et fait suite à des discussions concernant les besoins des agriculteurs bio réunionnais. Il s’articule en 5 objectifs :

  1. la gestion de l’enherbement (2009-2013)
  2. la production sous abris : utilisation de serres insect-proof (2009-2013)
  3. adaptation du travail du sol mécanisé en planches permanentes (2009-2013)
  4. essais variétaux sous abris (tomates, melons, courgettes) et en plein champ (tomates, haricots, salades, aubergines, carottes, melons)
  5. compostage : utilisation de la matière organique.

A mon arrivée à la Réunion, il n’y avait aucun (ou très peu) intrant professionnel. Il n’y avait pas d’engrais bio, pas d’amendements bio, pas de semences professionnelles, pas de terreau de semis, pas d’engrais foliaire, très peu de produits de traitement innovant - hors soufre et cuivre, je travaille plutôt en biodynamie. Il m’a fallu 6 mois de mise en place.

Aujourd’hui, le travail sur les semences a abouti à une dérogation en juin 2010 qui demande à être retravaillée. Il faut savoir qu’à la Réunion, il n’y avait pas de semences locales disponibles. Elles étaient donc toutes importées et recevaient de ce fait un traitement fongicide et un traitement viral, celui-ci ne sert à rien si le virus est à l’intérieur de la graine. Il a donc fallu apprendre aux producteurs bio les techniques de sélection, multiplication et conservation des semences AB et les inciter à les échanger. A ce jour l’Armeflhor dispose d’une banque de semences bio (2 sortes d’aubergines, oignon rose bourbon, piment petit et gros, maïs). Ces semences saines, produites à la Réunion, sont conditionnées pour tous les producteurs bio réunionnais.

BCAR : Après deux ans de recherche en agro-bio-écologie réunionnaise, quels sont vos résultats ?

P.L. :

  1. La gestion de l’enherbement (2009-2013), en partenariat avec le CIRAD et le GAB, est un point crucial pour les producteurs bio à la Réunion. Il y a des essais sur la parcelle dédiée à la filière biologique à l’Armeflhor. Ce sont essentiellement des travaux liés au sol et à sa structure pour : une approche et une réalisation de couvert végétal, une lutte contre les adventices et un itinéraire spécifique.
  2. La production sous abris : utilisation de serres insect-proof (2009-2013) a permis la mise en place de cultures exigeantes mais très demandées par les consommateurs de l’île : plusieurs variétés de tomates, melons, courgettes.
  3. L’adaptation du travail du sol mécanisé en planches permanentes (2009-2013) a démontré dès le départ une fragilité du sol de l’île qui pouvait être corrigée par une meilleure analyse du sol, l’utilisation des amendements, un planning des interventions et des outils mieux adaptés.
  4. Les essais variétaux sous abris (tomates, melons, courgettes) et en plein champ (tomates, haricots, salades, carottes, melons) sont pour certains encore en cours. La mise en place de la carotte en spécificité bio a été un fort succès car elle permet un minimum d’intervention technique par rapport à l’enherbement et ce avec un excellent rendement de production.
  5.  Pour la tomate, il y a eu un premier essai avec 20 variétés et un deuxième essai avec 30 variétés, les deux essais étant très concluants. Quelques variétés se démarquent par leur haut potentiel comme l’Andine et la Greenzébra. Les salades ont aussi montré une belle réussite.

BCAR : Vos travaux sont fondamentaux pour aider concrètement les producteurs de Bio réunionnais sur leurs cultures. Quels sont vos projets et sur quelle durée sont-ils échelonnés ?

P.L. : En ce qui concerne les essais variétaux, nous verrons en 2011 la finalisation de tous les essais commencés depuis 2010. Nous relançons un essai courgette qui semble très prometteur. Le premier essai avait connu un mauvais départ mais la cause ayant été identifiée et résolue nous repartons sur de bonnes bases. Un essai melon est également en cours avec plusieurs variétés dont le melon charentais. Les résultats devraient être visibles fin Août début Septembre.

            Pour ce qui est de l’adaptation du travail du sol, nous mettons en place chez les producteurs de nouvelles techniques issues de la biodynamie avec apports de bactéries qui permettent de minimiser voire de supprimer l’utilisation des intrants.

BCAR : Quel avenir voyez-vous pour la production bio réunionnaise, à l’heure où les consommateurs, soucieux de leur santé et de leur environnement, se tournent de plus en plus vers la Bio ?

P.L. : Par rapport au travail à l’Armeflhor, l’objectif principal est de toucher tous les producteurs car pour moi un producteur conventionnel est un producteur bio en devenir. Il s’agit donc :

  1. d’aider les producteurs de bio qui ont déjà un savoir faire mais qui ont besoin de la recherche en agro-biologie pour accéder à plus de diversité en bio ;
  2. de soutenir les producteurs qui souhaitent se convertir à la bio. Souvent ce sont des agriculteurs qui font beaucoup de prévention par observation et utilisent peu d’engrais. Il faut les aider pour qu’ils utilisent au maximum le foncier existant.
  3. d’un travail de mise en place pour les agriculteurs conventionnels par obligation car demain il n’y aura plus de molécules pour traiter et il y aura plus de demande de produits agricoles en bio.

Cependant, aujourd’hui je ne dispose pas de tous les paramètres pour produire en bio à la Réunion. La recherche en agro-biologie par expérimentation doit se poursuivre.

Il y a aussi des projets avec la chambre d’agriculture, le FDGDON et le CIRAD comme le projet GAMOUR pour la Gestion Agroécologique des MOUches à la Réunion qui devrait déboucher sur la publication d’un process pour les agriculteurs bio des zones tropicales. Les producteurs qui ont participé sont satisfaits des essais mis en place à partir de ce programme.

M. Lucas, nous vous remercions d’avoir pris le temps de répondre à ces questions qui intéressent au plus près nos milliers d’adhérents, de correspondants et sympathisants qui sont de plus en plus soucieux du développement de l’Agriculture Biologique sur notre belle île qui, rappelons-le, a été inscrite en 2010 au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Nous tenons aussi à vous remercier pour votre participation bénévole à nos manifestations auprès du grand public ainsi que pour votre prochaine venue, au mois de mai, à une Journée de Découverte du Maraîchage Bio dans une ferme du Tampon. A bientôt donc et bonne continuation.

 

Philippe Lucas (2ème à g.) et une partie de l’équipe de Bio Consom’acteurs Réunion à la Ferme Pédagogique Lou-Cachet’

Interview de JP Deguine

Interview de JP Deguine pour le Guide Bio Consommateurs Réunion 

Jean-Philippe Deguine, vous êtes chercheur agroécologue au Cirad, au sein de l’Unité Mixte de Recherche « Peuplements Végétaux et bioagresseurs en Milieu Tropical » à Saint-Pierre. En quoi consiste votre travail ?

Dans une première phase, mon activité de recherche vise à acquérir des connaissances, à la fois sur sur la biologie et l’écologie des arthropodes (insectes ravageurs et insectes utiles) des écosystèmes cultivés en milieu tropical, et sur le fonctionnement de ces systèmes. Dans une deuxième phase, mon activité vise, par des recherches intégratives, à concevoir et mettre au point des techniques de protection des cultures, qui répondent aux enjeux de notre société : économiques, sanitaires et environnementaux.

La ligne directrice de mes recherches est basée sur l’agroécologie, qui consiste à concilier agronomie et écologie, deux sciences restées trop longtemps distantes. L’agroécologie replace au premier plan la nécessité d’une agriculture durable qui serait viable économiquement pour les agriculteurs et respectueuse de l’environnement et de la santé. Ma spécialité est la Protection agroécologique des cultures. Dans un tel contexte, l’Agriculture Biologique représente non seulement un prototype d’agriculture permettant de mener des recherches originales (les milieux n’étant pas perturbés par des traitements insecticides chimiques), mais aussi et surtout un type d’agriculture à promouvoir, car visant à prendre en compte les enjeux cités plus haut.

L’enjeu de telles recherches est d’autant plus important qu’à La Réunion, la Protection des cultures représente le principal goulot d’étranglement de la production en AB, notamment dans un milieu insulaire et tropical, où les invasions et infestations de ravageurs sont beaucoup plus importantes et préjudiciables qu’en France métropolitaine.

Ces recherches sont originales. Quel a été votre parcours professionnel ?

Je travaille dans le domaine de la protection des cultures depuis plus de 25 ans. A mes débuts, elle reposait essentiellement sur la lutte chimique ; rapidement, je me suis aperçu des effets néfastes et, parfois désastreux, de l’utilisation des pesticides. J’ai eu la chance de travailler dans différentes parties du Globe (Afrique, Océanie, Europe, Océan Indien) et d’effectuer de nombreuses missions d’expertise à travers le monde. J’ai aussi eu la chance de travailler sur différentes cultures : le cotonnier, le riz, les fruits, les légumes. Mon constat a toujours été le même : une protection durable contre les ravageurs des cultures passe par une réduction ou une suppression de l’emploi des insecticides chimiques, au profit de méthodes agroécologiques. J’ai écrit, il y a quelques années, un ouvrage dont le titre résume bien les concepts que j’emprunte et que je défends : « Protection des cultures : de l’agrochimie à l’agroécologie » (éditions Quae). 

Quelles types de recherches avez-vous engagées dans le programme de recherches Procab (Protection des cultures en AB) ?

J’ai lancé, dès l’origine du Programme Sectoriel Odeadom Agriculture Biologique à La Réunion en 2008, un programme de recherches répondant à la fois à des objectifs scientifiques de long terme et des demandes précises et urgentes de la filière AB.  C’est ce qui fait l’originalité du programme. Ainsi, à côté de recherches portant sur l’évolution de la biodiversité dans des systèmes cultivés en Agriculture Biologique, des études visent à répondre, concrètement et rapidement, à des impasses techniques ou à des contraintes phytosanitaires majeures, comme la protection des cultures contre les Mouches des légumes. Par ailleurs, nous contribuons à la sensibilisation du grand public à l’Agriculture Biologique et nous apportons un appui aux acteurs de la filière AB, par des activités et formation (d’agriculteurs AB, de techniciens), d’information technique (livrets techniques, DVD) et de valorisation scientifique (publications, communications dans des congrès internationaux). Nous travaillons de concert avec les partenaires concernés, comme le GAB (Groupement des Agriculteurs Biologiques), l’Armeflhor, la Chambre d’agriculture.

Parlez-nous du projet Gamour ?

C’est un projet, initié en 2009, qui a concerné, pour la première fois, des agriculteurs dits « conventionnels » et des agriculteurs « Bio ». Tous étaient confrontés au problème des Mouches des légumes qui étaient considérées comme les ravageurs n°1 de l’Agriculture réunionnaise et, à fortiori, de l’AB. Après avoir acquis les préalables et nécessaires connaissances sur la biologie, l’écologie et la dynamique des populations des 3 espèces de mouches concernées, nous avons mis au point des techniques de protection agroécologique, reposant sur la prophylaxie, la gestion des habitats des arthropodes et la lutte biologique de conservation. De telles pratiques sont bien sûr parfaitement cohérentes avec les orientations de l’Agriculture Biologique. Aujourd’hui, à la fin du projet, les solutions sont validées et disponibles, à la grande satisfaction des agriculteurs. Le transfert de ces techniques a déjà commencé. Certains producteurs de chouchou, qui utilisaient des quantités importantes d’insecticides, se sont même convertis à l’Agriculteur Biologique.

Cette première expérience qui a concerné les cultures de Cucurbitacées (courgette, citrouille, concombre, chouchou) va être étendue à d’autres spéculations : un projet, étudiant la possibilité de supprimer les insecticides dans les vergers de manguiers et de mieux valoriser les insectes utiles potentiellement présents, vient de démarrer.

Et la biodiversité ?

Dans une exploitation AB de l’Ouest de l’île, où l’on suit depuis 3 ans certains indicateurs de la biodiversité fonctionnelle (arthropodes prédateurs, parasitoïdes, pollinisateurs), les premiers résultats montrent une augmentation de la richesse spécifique dans certaines guildes (prédateurs terrestres). Un bilan sera effectué en 2012 et devrait conforter scientifiquement l’intérêt de l’Agriculture Biologique sur la biodiversité. Ceci revêt un caractère d’autant plus important à La Réunion, qu’elle vient d’être reconnue récemment au patrimoine mondial de l’Unesco, qu’elle est considérée comme un « hotspot » de la biodiversité à l’échelle mondiale et qu’une partie importante de l’île est concernée par le Parc National.

Mouches des légumes se préparant à pondre dans une courgette

Larve de coccinelle dévorant des pucerons

L’équipe du projet Procab dans un verger de manguiers

Séance de sensibilisation de lycéens à l’Agriculture Biologique

 

ARMEFLHOR

Lundi, c'est végé

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