Interview de JP Deguine
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- Créé le jeudi 21 juin 2012 10:24
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Interview de JP Deguine pour le Guide Bio Consommateurs Réunion
Jean-Philippe Deguine, vous êtes chercheur agroécologue au Cirad, au sein de l’Unité Mixte de Recherche « Peuplements Végétaux et bioagresseurs en Milieu Tropical » à Saint-Pierre. En quoi consiste votre travail ?
Dans une première phase, mon activité de recherche vise à acquérir des connaissances, à la fois sur sur la biologie et l’écologie des arthropodes (insectes ravageurs et insectes utiles) des écosystèmes cultivés en milieu tropical, et sur le fonctionnement de ces systèmes. Dans une deuxième phase, mon activité vise, par des recherches intégratives, à concevoir et mettre au point des techniques de protection des cultures, qui répondent aux enjeux de notre société : économiques, sanitaires et environnementaux.
La ligne directrice de mes recherches est basée sur l’agroécologie, qui consiste à concilier agronomie et écologie, deux sciences restées trop longtemps distantes. L’agroécologie replace au premier plan la nécessité d’une agriculture durable qui serait viable économiquement pour les agriculteurs et respectueuse de l’environnement et de la santé. Ma spécialité est la Protection agroécologique des cultures. Dans un tel contexte, l’Agriculture Biologique représente non seulement un prototype d’agriculture permettant de mener des recherches originales (les milieux n’étant pas perturbés par des traitements insecticides chimiques), mais aussi et surtout un type d’agriculture à promouvoir, car visant à prendre en compte les enjeux cités plus haut.
L’enjeu de telles recherches est d’autant plus important qu’à La Réunion, la Protection des cultures représente le principal goulot d’étranglement de la production en AB, notamment dans un milieu insulaire et tropical, où les invasions et infestations de ravageurs sont beaucoup plus importantes et préjudiciables qu’en France métropolitaine.
Ces recherches sont originales. Quel a été votre parcours professionnel ?
Je travaille dans le domaine de la protection des cultures depuis plus de 25 ans. A mes débuts, elle reposait essentiellement sur la lutte chimique ; rapidement, je me suis aperçu des effets néfastes et, parfois désastreux, de l’utilisation des pesticides. J’ai eu la chance de travailler dans différentes parties du Globe (Afrique, Océanie, Europe, Océan Indien) et d’effectuer de nombreuses missions d’expertise à travers le monde. J’ai aussi eu la chance de travailler sur différentes cultures : le cotonnier, le riz, les fruits, les légumes. Mon constat a toujours été le même : une protection durable contre les ravageurs des cultures passe par une réduction ou une suppression de l’emploi des insecticides chimiques, au profit de méthodes agroécologiques. J’ai écrit, il y a quelques années, un ouvrage dont le titre résume bien les concepts que j’emprunte et que je défends : « Protection des cultures : de l’agrochimie à l’agroécologie » (éditions Quae).
Quelles types de recherches avez-vous engagées dans le programme de recherches Procab (Protection des cultures en AB) ?
J’ai lancé, dès l’origine du Programme Sectoriel Odeadom Agriculture Biologique à La Réunion en 2008, un programme de recherches répondant à la fois à des objectifs scientifiques de long terme et des demandes précises et urgentes de la filière AB. C’est ce qui fait l’originalité du programme. Ainsi, à côté de recherches portant sur l’évolution de la biodiversité dans des systèmes cultivés en Agriculture Biologique, des études visent à répondre, concrètement et rapidement, à des impasses techniques ou à des contraintes phytosanitaires majeures, comme la protection des cultures contre les Mouches des légumes. Par ailleurs, nous contribuons à la sensibilisation du grand public à l’Agriculture Biologique et nous apportons un appui aux acteurs de la filière AB, par des activités et formation (d’agriculteurs AB, de techniciens), d’information technique (livrets techniques, DVD) et de valorisation scientifique (publications, communications dans des congrès internationaux). Nous travaillons de concert avec les partenaires concernés, comme le GAB (Groupement des Agriculteurs Biologiques), l’Armeflhor, la Chambre d’agriculture.
Parlez-nous du projet Gamour ?
C’est un projet, initié en 2009, qui a concerné, pour la première fois, des agriculteurs dits « conventionnels » et des agriculteurs « Bio ». Tous étaient confrontés au problème des Mouches des légumes qui étaient considérées comme les ravageurs n°1 de l’Agriculture réunionnaise et, à fortiori, de l’AB. Après avoir acquis les préalables et nécessaires connaissances sur la biologie, l’écologie et la dynamique des populations des 3 espèces de mouches concernées, nous avons mis au point des techniques de protection agroécologique, reposant sur la prophylaxie, la gestion des habitats des arthropodes et la lutte biologique de conservation. De telles pratiques sont bien sûr parfaitement cohérentes avec les orientations de l’Agriculture Biologique. Aujourd’hui, à la fin du projet, les solutions sont validées et disponibles, à la grande satisfaction des agriculteurs. Le transfert de ces techniques a déjà commencé. Certains producteurs de chouchou, qui utilisaient des quantités importantes d’insecticides, se sont même convertis à l’Agriculteur Biologique.
Cette première expérience qui a concerné les cultures de Cucurbitacées (courgette, citrouille, concombre, chouchou) va être étendue à d’autres spéculations : un projet, étudiant la possibilité de supprimer les insecticides dans les vergers de manguiers et de mieux valoriser les insectes utiles potentiellement présents, vient de démarrer.
Et la biodiversité ?
Dans une exploitation AB de l’Ouest de l’île, où l’on suit depuis 3 ans certains indicateurs de la biodiversité fonctionnelle (arthropodes prédateurs, parasitoïdes, pollinisateurs), les premiers résultats montrent une augmentation de la richesse spécifique dans certaines guildes (prédateurs terrestres). Un bilan sera effectué en 2012 et devrait conforter scientifiquement l’intérêt de l’Agriculture Biologique sur la biodiversité. Ceci revêt un caractère d’autant plus important à La Réunion, qu’elle vient d’être reconnue récemment au patrimoine mondial de l’Unesco, qu’elle est considérée comme un « hotspot » de la biodiversité à l’échelle mondiale et qu’une partie importante de l’île est concernée par le Parc National.
Mouches des légumes se préparant à pondre dans une courgette |
Larve de coccinelle dévorant des pucerons |
L’équipe du projet Procab dans un verger de manguiers |
Séance de sensibilisation de lycéens à l’Agriculture Biologique |